Au cœur des monts Aurès, là où les cimes abruptes défiaient l’azur, une âme indomptable s’érigeait en légende : la Kahina. Les conquérants venus d’Orient la nommaient ainsi, tandis que son peuple berbère murmurait Dihya, un nom chargé de fierté. Reine guerrière, elle était l’incarnation vivante de la résistance ancestrale.
Sur sa monture agile, le menton levé avec une noblesse farouche, ses longs cheveux d’ébène flottaient au gré des vents d’altitude. Son regard circulaire embrassait ses troupes, une armée de Berbères aux cœurs ardents, héritiers d’une culture immémoriale enracinée dans ces terres âpres. D’un geste impérieux, la pointe de sa lance traçait des figures éphémères sur le sol poussiéreux, des plans de bataille nés de son esprit vif et stratégique. L’ombre de l’armée arabo-musulmane s’allongeait inexorablement, et la Kahina préparait ses guerriers à l’inévitable choc.
Selon la coutume séculaire des Berbères, un cercle de poètes, gardiens de la mémoire et du courage, entourait la phalange guerrière. Leurs voix s’élevaient en un chant vibrant, tissant des vers enflammés qui exaltaient la bravoure et la détermination, insufflant une flamme nouvelle dans les veines des combattants. Des cris de guerre puissants répondaient à ces paroles, et le battement profond des tambours tribaux résonnait dans les vallées, annonçant l’heure imminente de l’affrontement. Mais ce cérémonial martial fut bientôt noyé par un grondement sourd et menaçant : le piétinement des chevaux de l’armée arabe, messagers de la bataille à venir.
Les forces de la Kahina, unies par une loyauté inébranlable envers leur reine et une discipline forgée par la nécessité, s’avançaient en rangs serrés, prêtes à défendre leur terre sacrée et leur identité profonde. Au centre de la mêlée, la Kahina elle-même, figure charismatique et audacieuse, menait ses hommes au combat. Son arme tranchante fendait l’air avec une précision mortelle, abattant l’ennemi et galvanisant ses troupes par son courage indomptable.
L’épopée de la Kahina traversa les siècles, transmise par le souffle des conteurs avant d’être fixée par l’encre dès les premières lueurs du IXe siècle. Des chroniques anciennes aux romans captivants et aux bandes dessinées saisissantes de notre temps, d’innombrables récits ont immortalisé ses combats légendaires. Pourtant, la distance du temps et la multiplicité des voix ont parfois voilé les détails de son existence d’un nimbe de mystère, rendant certaines vérités incertaines et laissant planer le doute entre l’histoire et la légende.
Au VIIe siècle, lorsque son père Thabet disparut, la jeune Dihya accéda au pouvoir à un âge étonnamment précoce : dix-sept printemps à peine. Elle devint la cheffe de guerre et la reine des Aurès, héritant d’un ascendant naturel et révélant des qualités militaires exceptionnelles, doublées, selon certaines traditions, de dons spirituels énigmatiques. Cette alliance unique fit d’elle une guerrière implacable et une stratège redoutable. Elle se dressa alors comme le pilier de la résistance berbère face à la vague impétueuse de la conquête arabo-musulmane, une lame de fond qui s’intensifia après la mort du prophète Mahomet en 632, marquant l’aube de l’ère des califats et l’essor de l’islam à travers le monde.
Sous le règne du calife omeyyade Abd al-Malik (685-705), avide d’asseoir l’autorité de son califat sur toute l’Afrique du Nord, les tribus berbères, qui occupaient alors un vaste territoire s’étendant des confins occidentaux de la vallée du Nil jusqu’aux îles Canaries baignées par l’Atlantique, opposèrent une résistance farouche à l’envahisseur. En l’an 698, un tournant décisif se produisit avec la reprise de Carthage par Hassan ibn al-Nu’man, le nouveau gouverneur omeyyade. La chute de cet important bastion byzantin en Afrique scella la fin de la présence grecque dans la région et isola davantage la Kahina et ses forces. Pourtant, la souveraine berbère refusa de plier face à l’avancée ennemie, déterminée à défendre son royaume jusqu’à son dernier souffle.
Hassan ibn al-Nu’man se prépara alors à affronter cette redoutable guerrière retranchée dans le massif des Aurès, dont les actes de résistance étaient contés comme des épopées et témoignaient d’une détermination inébranlable. La Kahina était renommée pour sa maîtrise équestre, sa dextérité dans le maniement des armes et son leadership inspirant. Elle menait son armée en se battant au premier rang, avec une bravoure qui suscitait l’admiration, même chez ses adversaires. Elle avait réussi à unir sous sa bannière les guerriers de multiples tribus berbères, surmontant les divisions intestines face à la menace commune. Ironiquement, pour ralentir l’avancée de l’ennemi, elle aurait mis en œuvre une politique de la terre brûlée, dévastant les terres et les ressources, ce qui aurait paradoxalement engendré la famine au sein de son propre peuple. La légende lui prêtait également des dons parapsychiques, lui permettant de recevoir des messages de l’au-delà et d’anticiper les stratégies de ses ennemis, ajoutant une aura mystique à sa figure déjà imposante.