C’est un pari audacieux que fait le Forum de Berre en ouvrant sa nouvelle saison culturelle, samedi 4 octobre, avec une version contemporaine de Carmen de Georges Bizet. Loin des représentations traditionnelles de l’opéra, la compagnie de Julien Lestel propose une relecture chorégraphique qui interroge les questions d’émancipation féminine et de violences de genre, thématiques au cœur de l’actualité sociétale.
Un dispositif culturel ambitieux
Avec vingt spectacles programmés et trente-sept représentations annoncées, le Forum de Berre affirme sa volonté de démocratisation culturelle sur un territoire marqué par les inégalités socio-économiques. L’établissement, qui dessert une population de 13 000 habitants majoritairement ouvrière, fait le choix d’une programmation exigeante tout en maintenant une politique tarifaire accessible.
La soirée d’inauguration, entièrement gratuite, se déroulera sur l’Esplanade Lucie et Raymond Aubrac, en bordure d’étang. Deux résistants qui ont choisi de dire non comme Carmen. Il y a une logique filiale dans cette géographie qui fait échos à une cohérence. Cette scénographie en plein air, qui tire parti du cadre naturel, s’inscrit dans une tendance actuelle de désacralisation des lieux culturels traditionnels. « L’idée est de créer une proximité avec le public, d’abolir la frontière entre la scène et la salle », explique la direction du Forum.
Une approche sociale de la création
Julien Lestel, ancien danseur principal et désormais chorégraphe reconnu internationalement, développe depuis 2006 une démarche artistique particulière. Sa compagnie, forte d’une vingtaine de créations diffusées sur les cinq continents, se distingue par son engagement en faveur de l’accès à l’art pour tous les publics.
« Des établissements scolaires aux centres pénitentiaires, en passant par les structures hospitalières et les EHPAD, nous intervenons là où l’art ne va pas naturellement », précise le chorégraphe, également professeur à l’École nationale de danse de Marseille. Cette approche, qualifiée de « danse hors les murs », fait écho aux réflexions contemporaines sur la fonction sociale de l’art.
Un modèle économique solidaire
L’originalité de l’événement réside également dans son modèle de financement. La soirée espagnole qui prolonge le spectacle – avec paëlla du chef Arnaud Benoît (L’Alchimiste, Berre-l’Étang) à 15 euros, animations musicales du Trio Fernandez et démonstrations de flamenco – verra l’intégralité de ses bénéfices reversée au fonds boursier du Forum.
Ce dispositif, créé pour favoriser l’accès des jeunes à l’éducation artistique, illustre une tendance émergente dans le secteur culturel : l’autofinancement participatif d’actions de médiation. « C’est une forme de mécénat populaire », analyse Marie Dupont, sociologue de la culture à l’université d’Aix-Marseille. « Le public devient acteur du financement de la démocratisation culturelle. »
Entre tradition et modernité
La Carmen de Julien Lestel, interprétée par dix danseurs formés aux techniques néoclassique et contemporaine, entend dépasser les clichés orientalistes de l’œuvre originale. « Cette version urbaine explore les rapports de domination et les questions identitaires avec les codes esthétiques d’aujourd’hui », précise le chorégraphe.
Cette relecture s’inscrit dans un mouvement plus large de réappropriation des œuvres du répertoire par les créateurs contemporains. Après les Carmen de Roland Petit (1949), Maurice Béjart (1967) ou plus récemment Angelin Preljocaj (2006), Julien Lestel propose sa vision de ce mythe littéraire devenu universel.